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Désirs et désordres
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5 juin 2009

"Quand Philippe Djian rencontre Anna Gavalda " par Sarah C.


 

J’arrivais pas à croire que cette folle soit là à m’attendre. J’avais passé une journée affreuse, j’avais qu’une envie, c’était de me jeter sous la douche et d’oublier tous ces dingues que j’avais croisé aujourd’hui. Et non. Voilà que j’en trouvais une –probablement la pire- devant ma porte.
J’ai respiré un grand coup et j’ai essayé de lui envoyer mon plus beau sourire.
-Dis-moi, j’espère que tu viens pas te faire payer l’apéro. Nan parce que là, tel que tu me vois, je suis rompu vois-tu, et je pense pas avoir beaucoup de temps à t’accorder. 
Elle s’est levée d’un bond et s’est pratiquement jeté à mon cou.
-Bon sang Philippe, tu peux pas me laisser tomber, je t’en conjure, j’ai vraiment besoin de toi !
J’ai lâché un soupir à fendre l’âme, mais pas la sienne visiblement, ça l’a pas arrêtée une seconde, j’avais à peine ouvert la porte qu’elle se précipitait à l’intérieur.
Je me suis promis de casser la gueule de mon éditeur dès que j’aurais réglé cette affaire, et je me suis servi une bière pour me donner un peu de courage.
-Bon, qu’est-ce qui t’arrive encore ? J’ai demandé en me laissant choir sur le canapé.
-C’est cette fille, Philippe. Il faut que tu m’aides. Elle m’a fait une telle publicité avec ce maudit article
Que j’ai même pas eu le courage d’aller au salon du livre. Je t’assure. J’ose à peine mettre le pied dehors !  Il faut que tu m’aides … !
Cette conne était pratiquement au bord des larmes, et je ne voyais vraiment pas quelle espèce d’aide elle attendait de ma part.
-Ecoute, tu te fais du mauvais sang pour rien Anna. Si tu veux mon avis, cette Sarah Cancaven est juste une pauvre conne, une espèce d’écrivain ratée qui se défoule sur les autres. Si tu veux mon avis faut pas chercher plus loin. 
Je me suis servi une longue rasade de bière pendant qu’elle se mettait à gesticuler dans tous les sens, j’étais crevé et je comprenais la moitié de ce qu’elle me disait.
-Bon sang Anna tu me donnes le tournis, tu veux pas t’asseoir et te calmer un peu ?!
-Me calmer ?! Mais comment tu veux que je me calme ? Est-ce que tu as lu cet article ?!
-Bon, mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ?! Je connais pas cette fille, qu’est-ce que t’attend de moi, au juste ?
Elle m’a jeté un tel regard que je me suis demandé un instant si c’était pas un truc sexuel, si elle voulait pas que je la réconforte d’une manière ou d’une autre.
-Sais-tu pourquoi je suis venu te voir toi Philippe ?
-Non, mais tu commences à me faire peur.
-C’est mon style Philippe, elle a fait en étouffant un sanglot. Mince, je crois que cette fille a raison, mon style ne vaut rien.
J’ai jeté un œil à la fenêtre mais j’habitais au deuxième étage, ça faisait un peu haut. Et je me voyais mal me barrer discrètement et la planter là, elle était dans un tel état qu’elle était bien capable de tout saccager autour d’elle. J’ai fermé les yeux un instant en visualisant tous les sévices que j’allais infliger à ce connard de Bernard, ce foutu connard de Bernard qui lui avait eu le culot de lui filer mon adresse.
Donner des conseils aux autres étaient la dernière chose que je me sentais capable de faire. Encore moins quand je venais de me taper toute une journée de dédicaces – dédicaces que j’avais gentiment accepté de faire pour la première fois de ma vie. Il perdait rien pour attendre. Oh non.
Comme je ne répondais rien, elle a enchainé en continuant de gesticuler comme un papillon de nuit.
-Philippe, dis-moi franchement. Qu’est-ce que tu penses de mon style ?
J’étais crevé, vraiment crevé, et je sentais qu’elle ne me lâcherait pas tant qu’elle aurait pas sa foutue réponse. Je me suis levé pour aller chercher une autre bière, que j’ai ouvert en soupirant. Quelle putain de journée.
-Anna. Si tu te mets à douter de ton style à chaque fois que t’as une mauvaise critique, t’es pas arrivée. Qu’est-ce qui te fait croire que cette dingue de journaliste a raison, elle plutôt que tes millions de lecteurs ? Parce que tu as bien des millions de lecteurs, je me trompe pas ?
-Oh bon sang Philippe, je supporte pas qu’on ne m’aime pas. J’ai envie de plaire à tout le monde, je le reconnais. Mince, je fais tout pour froisser personne, pas de vulgarité, de l’amour, de la tendresse, pas de violence … je comprends pas.
-Ben cherche pas plus loin. Il est là ton problème. C’est comme si tu baisais en gardant ton soutif.
-Hein ?
-Bon. Ecoute. Je me sens très mal placé pour te donner le moindre conseil. L’écriture, c’est quelque chose de très personnel. Et si tu veux mon avis, c’est une très mauvaise idée de venir voir n’importe quel écrivain pour lui demander des conseils. C’est même complètement con ... Non, putain Anna, te mets pas à chialer, je t’en supplie …
-Non, mais je croyais que … enfin …. Je croyais que ça te ferait plaisir, et puis ….
-Mais merde Anna, je l’ai coupée. Tu peux me dire à quoi ça rime ?! Je te connais à peine, tu te pointes chez moi, tu veux des conseils sur ton style rapport à une folle qui t’a démolie dans un article, tu peux me dire à quoi ça rime ?! Tu sais, je veux pas te blesser, mais ça en dit long. Crois-moi.
-Mais c’est quoi cette histoire de soutif … ?
-Bon. Est-ce que tu suces ?
-Mais t’es complètement malade !!! Bon sang mais tu crois quand même pas que je suis venue pour ça ?!!!
-Anna. Chérie. L’écriture, c’est comme le sexe. Quand tu y vas, faut y aller à fond. Faut arracher ta culotte, balancer ton soutif, crier, sucer, embrasser à pleine bouche. T’abandonner.
Oublier toutes tes questions, et ne pas te demander ce que va en penser le voisin. Je peux pas être plus explicite.
En un bond, elle avait atteint la porte. J’ai vu dans son regard qu’elle pensait être tombée sur un vrai malade, elle a serré son sac contre elle et elle a bredouillé un truc que j’ai pas compris.
-Nan mais attends Anna, je vais pas te sauter dessus, j’essayais juste de t’expliquer un truc, j’ai dit en me levant.
-Ecoute, euh … faut que j’y aille, elle a fait en ouvrant la porte, y a quelqu’un qui m’attend quelque part.

 

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