" Quand Philippe Djian rencontre Anna Gavalda " par Lili B.
Les Voutes de Paris, 10 rue
Servandoni.
Vaguement occupé à préparer
la réception qui aura lieu ce soir dans les lieux, je les observe du coin de
l’œil. Lui à gauche de la salle, avachi sur son fauteuil, le bras négligemment posé
sur l’accoudoir, à se frotter doucement la pulpe des doigts comme s’il se
jouait d’un stylo invisible. Elle, plus près de moi à droite, quelque peu
mal-à-l’aise, feuilletant un magazine et jetant de furtifs coup d’œil dans la
direction de l’homme.
La femme avec le magazine,
elle c’est Gavalda. Je l’aimais :
roman simple, bien écrit, plus profond qu’il n’en a l’air. Mérite-t-elle son
succès ? Pas à mon goût. Pourtant moi aussi je les ai aimés son vieux et
sa jeune divorcée un peu flétrie… Il fallait oser la rencontre beau-père/bru,
et rien que pour ça, rien que pour cet angle peu commun, je lui tire mon
chapeau. Pour la dialectique aussi, et pour les notes de douceur savamment
distillées. L’air de rien, elle esquisse ses portraits et tout doucement, les
visages apparaissent, les caractères émergents ; ils sont là, près de
nous. Le style, assez lisse, se prête à merveille à une lecture intérieure mais
peu lasser rapidement. Du reste de son œuvre, je connais uniquement je voudrais que quelqu’un m’attende quelque
part au titre trop long et qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Ceci-dit,
c’est un peu maigre pour se faire un avis.
La semaine dernière, en
apprenant que les deux auteurs allaient se voir interviewer dans nos locaux, j’ai
cherché à glaner quelques critiques ici et là.
Monsieur serait donc estampillé
Beat Generation. On le dit auteur à style. Soit. Les étiquettes, après tout
c’est bien utile pour acheter comme pour vendre non ? Et le sentiment
d’appartenance à un groupe, c’est bien pratique pour se retrancher derrière quand
la critique fait rage… Son Stratégie d’éditeur ou comportement de consommation,
peu importe, moi les étiquettes ça me gave. « Mais moi, je ne
revendique rien de tout cela. Je ne représente rien ni personne, je
n'appartiens à aucune école. Je fais simplement mon travail d'écrivain » répond-il – Et ça vraiment, je
préfère.
Madame ? Plus difficile
à classifier apparemment. Pas de style très marqué. Parfois comparée à Sagan
(jamais lu), par d’autres à Philippe Delerm (je trouve pas), souvent à Marc
Levy (moins doué pour les portraits quand même). On l’associe également à une littérature de
loisirs comme ce dernier, Guillaume Musso ou Katherine Pancol. « Subtilité »,
« finesse » scandent ses admirateurs, « contemporaine »,
« facile à lire» en disent les sans-opinions, « creuse »,
« fade » jugent ses détracteurs. Qu’elle ne puisse se réfugier dans
aucune grotte littéraire en revanche me plait bien. Et qu’elle ne puisse faire
une interview sans parler de Djian me surprend.
Bonjour pardonnez le retard… collègue
accident… prévenir ? Oui, non, euh… essayé… Bafouillage du journaliste. Bon
sang, comment peut-il oser un coup pareil ? Le plan est si mal préparé que
je réprime un rire. Djian est vert et Gavalda clignote entre gris et rose. En
gros, deux journalistes du même canard devaient interviewer chacun un des
auteurs dans des salons séparés, mais là on a plus qu’un journaliste et deux
auteurs… Quelle poisse tout de même ! Le petit jeune se défend bien, entre
un Djian en bonne voie d’implosion et une Gavalda terrorisée à la limite du
pipi intempestif. « A gauche sous l’arcade » je lui indique.
Impossible de ne pas remarquer qu’elle commence méchamment à se tortiller.
Finalement, retournement de
situation. J’ai du mal à y croire, pourtant Djian se rassoit et accepte
l’interview commune avec simple mise en demeure de torcher ça vite fait bien
fait.
A la sortie des toilettes, le
gnome intercepte Anna Gavalda pour lui faire part des délibérations - discours
sucré - et lui glisser une parole aimable sur la mort de son chat. C’est fou ce
qu’on peut s’attacher à ces petites bêtes tout de même.
- Simplicité, humanité, écriture
épurée, peu d’effets littéraires, d’indéniables talents pour les portraits… égrène
le journaliste.
Finalement, d’un point de vue
stylistique, c’est vrai qu’ils ont plus de points communs qu’on pourrait le
croire. Djian se crispe un peu mais tient bon la barre.
Les références littéraires
maintenant. Sensiblement les mêmes puisque la petite nouvelle du cénacle a
calqué ses lectures sur son mentor : Carver, Brautigan, Kérouac, Salinger,
Céline… Le courant passe. Etonnant mais chiant, chiant, ça devient chiant là…
- Par pudeur je pense.
Sûrement un héritage de mon éducation. Je peine encore à prendre certains
risques.
- Est-ce que finalement ce
qui vous sépare le plus, n’est-ce pas simplement la prise de risque ? Le
cru, l’extrême, un franc-parler, une certaine âpreté, des personnages plus
marqués…
Je jette un œil discret en
bas de l’escalier. Gavalda rougit. Djian semble amusé.
- Vous voulez dire que je ferais
du Djian aux couleurs pastel ?
- Ca vous déplairait ?
- Vous plaisantez ?!…
Une heure plus tard…
« Djibril, va me sortir les deux excités du chiotte n°2, ils font trop de bruit, ! »